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Elle fut nostalgique et porteuse des souffrances de l’exil dans les années 1950, plaintive et « classique » sur fond d’orchestration orientale durant la décennie 1960, puis militante au cours des années 1970, celles de la mutation. Depuis l’an 2000, la chanson kabyle, à travers notamment Mohamed Allaoua, artisan d’un nouveau groove, poursuit sa quête de nouveaux espaces et de nouveaux horizons en remettant continuellement l’ouvrage sur le métier. Le résultat en est un bel équilibre entre poids des mots et choc du tempo.

Dans cette région montagneuse, arboricole (figuiers et oliviers essentiellement) et farouchement attachée à son identité amazigh (berbère), située dans le nord-est de l’Algérie, la musique et la danse sont à la fois une évasion, un moment de répit dans le déroulement de la vie quotidienne, un divertissement pour alléger le fardeau des travaux et des jours et une prise de conscience de la réalité immédiate. L’expression corporelle et les chants, souvent bâtis autour de textes à la poésie très subtile et métaphorique, sont autant d’images en parfaite harmonie avec les paysages marqués par ce gris lumineux du ciel aux abords de la mer lorsque s’y fondent les reflets des neiges du Djurdjura. En Kabylie, la musique et la danse se pratiquaient surtout à l’occasion

Native de Tiaret, grande cité et ancienne capitale historique de l’ouest algérien, elle avait chanté pendant plus d’un demi‑siècle les trésors classiques de la tradition arabo‑andalouse, du folklore oranais, du chaâbi et quelques compositions réactualisées. Son nom, jusqu’à son dernier soupir le 17 novembre 1998, revendiquait fièrement son appartenance régionale : Reinette 1`Oranaise.

Toute petite et atteinte de cécité précoce, Sultana Daoud, dite Reinette, fille d’un rabbin d’origine marocaine, avait appris à cirer les chaises dans son école, une tâche ingrate qui désespérait sa mère. Celle-ci, soucieuse de l’avenir de sa fille, lui fit cette recommandation prémonitoire : « Je veux que tu aies un métier qui t’égaye tout en égayant les autres ». Elle ne croyait pas si bien dire. A seize ans, l’adolescente est confiée au maestro Saoud El Medioni (oncle de Maurice le pianiste), formateur également de Lili Boniche, qui tenait un café à Oran, rare lieu de rendez-vous de tous les mélomanes, les musiciens, les paroliers et les vedettes locales – les espaces culturels sous contrôle colonial refusaient toute expression algérienne. Emerveillée et troublée à la fois par son entrée dans un cercle exclusivement réservé aux valeurs confirmées, Reinette devient très vite l’élève attitrée de Saoud. L’apprentissage du classique est ardu et exigeant comme elle aimait à le rappelait souvent : « De prime abord, je ne pouvais pas chanter le classique. Il m’apprenait des petites chansonnettes, et puis le temps a passé comme ça, nous avions beaucoup de succès ».

Unique femme donc à être admise dans le cénacle, elle s’en tirera par étapes, avec brio et talent. Pour parfaire son éducation musicale, elle s’initie à la derbouka, ce qui lui permet d’acquérir le sens du mizân (la mesure) et la maîtrise du chant. Puis, elle tâte de la mandoline, mais elle ne la ressent pas ; alors, sur proposition de son génial professeur, elle se tourne vers le luth, et là se produit la symbiose idéale avec cet instrument. Heureuse de ses progrès, Reinette ne peut exulter car son cher maître affiche son intention d’ouvrir un établissement à Paris. Elle l’y suit mais, rapidement, la nostalgie reprend le dessus. A son retour, elle continue à travailler avec les mêmes musiciens, dans le même café que gérait désormais un neveu de Saoud. Hélas, elle apprend que celui qu’elle vouvoyait et vénérait par-dessus tout avait « disparu » dans les féroces « nuits et brouillards » nazis. Elle exprimera son chagrin à travers le poignant morceau Nechkar el Karim(Loué soit le Généreux).

Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Reinette s’installe à Alger, rue Médée, où, coïncidence divine, se trouve le local, servant de salle de répétition de l’association andalousophile « El Fekhardjia ». Elle écoute souvent la radio quand elle passe des mélopées algériennes et admire particulièrement Mohamed Belhocine (père de Hamid, le tromboniste de Kassav’). Elle fera sa connaissance et il acceptera d’être son maître, de lui transmettre son précieux savoir et de l’aider à améliorer ses qualités d’interprétation. A cette époque, Reinette est déjà célèbre et participe tous les mardis à des émissions radiophoniques rassemblant les meilleurs artistes du chaâbi algérois et de l’andalou. Plus tard, elle intègre l’orchestre de Hadj El Anka, le créateur du chaâbi de la casbah, entourée par des choristes de renom : Alice Fitoussi, Meriem Fekkaï et Fadila Dziria. Il s’agissait en fait de retrouvailles puisqu’elles avaient animé en commun des fêtes de mariages et de circoncisions. Dès lors, partout en Algérie et jusqu’en 1962, année de son exil douloureux vers la France, elle portera, armée de son luth fraternel, la bonne parole algéro-andalouse.

Installée à Romainville, en région parisienne, avec Georges Layane, son percussionniste de mari, elle sort de sa paisible retraite dans les années 1980 pour, à nouveau, séduire autant ses anciens fans que pour conquérir un jeune public, fasciné par son ton caustique et son bonheur de jouer irradiant jusqu’à sa disparition. Elle était souvent accompagnée au piano par le regretté Mustapha Skandrani. Il nous reste d’elle côté sons quelques enregistrements et un titre sur la BO de « Rachida », un magnifique film de Yamina Bachir Chouikh, et côté images « Le port des amours », un documentaire réalisé, en 1992, par Jacqueline Gozland.

Cet album offre un véritable florilège de chansons, aux styles divers (andalou, haouzi, a’sri-moderne…), qui n’ont pas pris de rides, à l’enseigne de « Ya Bladi Ya Nass », un de ses titres les plus plébiscités, les classiques « Ana Louliya » et « Bellah Ya Ben el Ourchan » et d’une reprise très enlevée d’un des plus grands succès de Lili Labassi, l’immortel « Mazal Haï Mazal » comme le souligne son intitulé, signifiant : vivant, je le suis toujours. Comme les chants de Reinette.

R. M.

sion des saisons de mariages et de circoncisions, du muwsem (fête religieuse) ou de la fin de la cueillette des olives. Mais en fait, tout est prétexte à un déhanchement frénétique : naissances, réussite scolaire, obtention d’un emploi, retour au pays. Bon nombre de chanteurs kabyles ont débuté par l’animation de ce type de fêtes et c’est le cas, à quelques exceptions près, de toutes les générations qui se sont succédées. Dans la France des années 50, sous l’impulsion de Cheikh El Hasnaoui et Slimane Azem,… tenants de la culture de l’exil, forgée dans les cafés, où se déroulaient les concerts, le chant kabyle se démarque du « folklorisme ». La chanson kabyle, dans une formule mieux arrangée, naît de ce mouvement.

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