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Au début des années 1970, une vague musicale puisant sa force et ses ressources dans un retour à la culture populaire la plus profonde du Maroc, le tout dans un esprit de redécouverte, déferle sur les consciences et transforme radicalement le paysage musical du pays. Les auteurs de ce véritable et irrésistible courant : cinq garçons ayant grandi ensemble à Casablanca, destinés d’abord à une carrière de comédiens de théâtre, qui décidèrent un jour de former un groupe musical. Ils se baptisent Nass el Ghiwane, nom d’une ancienne confrérie religieuse.

Leurs instruments sont traditionnels : le s’nitra (banjo sans frette), le gumbri (basse acoustique utilisée dans la musique gnawa du sud marocain), le bendir et la tbila, instruments à percussion jusqu’alors utilisé seulement par les couches populaires paysannes. Leurs chants : des chœurs puissants poussés à l’unisson qui font revivre la poésie orale, les proverbes et les dictons populaires, avec des mots réactualisés, un discours, semi-direct et métaphorique en arabe dialectal, qui pose tous les problèmes de la société contemporaine, laissant le soin à l’auditeur de chercher El Ma’na (le sens du mot, un de leurs titres les plus connus). Nass el Ghiwane se réfère beaucoup à la tradition poétique maghrébine du siècle dernier, incarnée, notamment, par le poète nomade Abderrahmane El Mejdoub.

Le succès est foudroyant et, sur scène, les cinq musiciens chevelus interprètent, avec conviction, des mélodies puissantes et lancinantes, soutenues par des percussions répétitives et hypnotiques (rappelant parfois le jazz et l’énergie du rock). De fait, Nass el Ghiwane ensorcelle littéralement la jeunesse marocaine

La formation impose vite son style, maintes fois copié, y compris par Khaled à ses débuts et Cheb Bilal, symbolisant à lui seul toute la diversité et tous les contrastes marocains voire toutes les facettes sonores du royaume chérifien. Les textes sont frondeurs, impitoyables pour l’idéologie dominante, et pour que le message passe mieux, ils y associent  des rythmes empruntés aux différentes cultures qui peuplent le royaume, tels le  Gnawa, le H’madcha, le Aïssawa ou les rythmes berbères de l’Atlas.

En 1974, un des membres du groupe, H’gour Boudjemaâ (qui était à Nass ce qu’était Brian Jones aux Stones) meurt, mais la troupe, par respect à un serment, poursuit sa route. Rien ne les arrêtera plus, même la censure. Près de 40 ans de carrière n’ont en rien entamé le crédit et la faveur dont jouit le groupe aujourd’hui encore auprès de la jeunesse marocaine.

Nass el Ghiwane, premier groupe maghrébin d’expression arabe à s’investir dans la revendication politique et culturelle, a influencé plusieurs générations d’artistes marocains. Il y a bien un avant et un après Nass el Ghiwane….et l’on peut dire avec Ahmed Aydoun (auteur de Musique du Maroc, Ed Eddif) que « Nass el Ghiwane est un groupe novateur qui, à la fois, respecte les traditions musicales et manifeste une foi profonde dans le changement ».

Après la disparition de Larbi Batma et le départ des autres membres historiques comme Paco et Allal, les fab five chérifiens, encensés par le réalisateur américain Martin Scorsese (il avait intégré un de leurs chants dans son film La tentation du Christ) se sont reformés autour du dernier survivant de l’épopée, Omar Sayyed. La force de frappe est restée intacte et les chansons correspondent toujours à la réalité sociale.

R.M.

Fragments de texte

Ya sah (ami )

O mon ami ! Je suis au cœur du déluge

J’ai desserré ma ceinture mais le déluge n’en finit pas…

Et si la mort n’était que justice ?..

Mon époque est celle du troupeau de moutons

Avec lesquels nous sommes mélangés…

Le soleil des vivants ne réchauffe pas les morts

Le croassement des corbeaux n’annonce pas forcément l’hivers….

Traduction de Djamel Lounis

El Maana (le sens du mot)

El ghiwan dresse un bilan peu reluisant,marqué par l’absence de toute morale et de solidarité. Le tout débouche sur le règne de la méfiance, de la suspicion et du pessimism.Même la nature, bousculant plus que d’ordinaire ses lois, s’est mise de la partie.

Mahouma (tourments)

Constat peu amène de la société en proie à une dégradation terrible, rendant la frontière entre le bien et le mal si floue qu’il en résulte un malaise endémique. Tourmentée cette vie prise dans la tourmente, la mélancolie ne cese de frapper alors que les gens aisés affichent leur opulence en des lieux de perversion, ignorant la valeur du partage et le sens de la sagesse.

Sabra et Chatila

Evocation pathétique du massacre perpétué dans les camps palestiniens, installés au Liban, ou c’est surtout la population civile qui en a fait les frais.Nass el Ghiwane dénonce également, sans les nommer, le lâche silence et l’incapacité des dirigeants arabes.

Saif Albatar (la faucheuse)

Il y est dit que la mort est impolie, ne prévient pas et, seule contre tous, elle arrive toujours, si on ose l’affirmer, à ses fins, séparant familles, parents et amoureux. Fatalité inéluctable, la mort est très présente dans la thématique du groupe.

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