BLED NOSTALGIE ALGERIE

« S’il vous plaît Lili, chantez-moi votre chanson ». C’était ainsi que le
député François Mitterrand demandait à la fin des années 40 au chanteur
algérois de lui réinterpréter un de ses succès quand l’ex-président venait
se distraire au cabaret parisien Le Soleil d’Algérie d’une séance de nuit
à l’Assemblée nationale. Lili Boniche (1921-2008) fut l’un des grands
modernisateurs de la chanson algérienne à force d’adaptations tango,
mambo, swing et autres airs internationaux à la mode. Le crooner juif,
originaire de Kabylie, au chant « francarabe » reprenait à sa manière,
morale, un peu fantaisiste, Bambino, thème immortalisé par une autre
Méditerranéenne, l’Italo-Egyptienne puis Française Dalida. C’est la
couleur de ce disque, ce retour romantique sur 50 ans de chanson
algérienne. Un parcours dans le temps attendrissant, parfois terrible, qui
raconte aussi l’histoire de l’Algérie actuelle, de la lutte de libération,
des premiers lustres de l’indépendance de 1962 prometteuse, des années de
plomb du conflit islamiste de la décennie 90, de la déception et de
l’espoir. L’amour d’un pays exceptionnel que chante le fabuliste kabyle,
admirateur des fables de La Fontaine, Slimane Azem (1918-1983) dans
Algérie mon beau pays, bluesman fabuleux de l’immigration algérienne en
France, mort oublié à Moissac, dans le Sud-Ouest. Plus tard, beaucoup plus
tard, le jeune Hocine Lasnami lui répondra avec Alger Alger, une superbe
reprise du titi de la Casbah Lili Boniche.
Alger la blanche, berceau du chaâbi, ce genre populaire né de la rencontre
de la noble musique arabo-andalouse et des enfants de la migration de ses
environs, notamment kabyles. Un genre captivant, méditant les leçons de la
vie, que chantent ici Amar Laâchab, l’ex-jeune premier Hachemi Gerouabi
(1938-2006), idole à ses débuts de la gent féminine, et Dahmane El
Harrachi (1925-1980), le zazou sans le sou de l’immigration algérienne
emporté par un accident sur la corniche algéroise alors qu’enfin les
autorités culturelles de son pays natal commençaient à lui octroyer la
place qu’il méritait. A la base de sa musique, il y avait, bien sûr, l’art
arabo-andalou, cet héritage de la splendeur arabe en Espagne  sublimé ici
par Reinette l’Oranaise (1915-1998), non voyante dès l’enfance, qui connut
deux vies artistiques, la première en Algérie, la seconde en France durant
la décennie 90 après des années d’oubli de sa voix vigoureuse interprétant
une culture apprise auprès de Saoud Médioni, dit l’Oranais, disparu dans
un camp de concentration en 1943.
Salim Halali (1920-2005) personnage haut en couleurs, né dans l’est
algérien, lui aussi est parti de la musique arabo-andalouse pour un
inventer des répertoires mélangeant traditions algériennes et marocaines
dans un style personnel qui en fit une star de tout le Maghreb, diaspora
compris.
Ces 25 dernières années, c’est un certain rock d’Oran, seconde ville
d’Algérie, qui domine la musique algérienne, le raï moderne popularisé par
Khaled qui en a fait la musique arabe la plus connue dans le monde par ses
chants puissants, sa musique contemporaine nourrie de multiples
influences. Le raï a son martyr, Cheb Hasni (1968-1994), assassiné durant
la guerre opposant islamistes armés et armée algérienne. Ses chansons
d’amour éperdu font encore les plus grosses ventes de musique en Algérie.,
alors que le premier tube international  du raï, reste N’sel fik, un
miracle de modernisme algérien chanté par le couple de l’époque Chaba
Fadéla, qui a propagé à tout son pays le raï nouveau à la fin des années
70, et le ténor Cheb Sahraoui.
Ailleurs, plus à l’est d’Oran, c’est Lounis Aït-Menguellet dont les
poésies admirablement ciselées animent l’identité d’une région longtemps
marginalisée, la Kabylie, pays berbère rebelle et trop souvent délaissé
que chante de son timbre poignant la vénérable Chérifa, gardienne du
répertoire traditionnel, souvent reprise, modernisée par tant de chanteurs
kabyles imprégnés de rock, blues et folk américains. Alors que dans une
aire toute proche, plus à l’Est, la région de Sétif, d’autres voix suivent
la même voie, à  l’exemple  de Souad, qui dès son enfance reprend les airs
traditionnels d’une région qui court de la Petite-Kabylie jusqu’aux Aurès,
massif souvent insoumis des Berbères Chaouis. Mais, c’est en arrivant en
France, où elle devient infirmière, que Souad force son talent  en signant
en 2007 son premier album. Un chant poignant qui revisite les patrimoines
sétifien et chaoui, mais aussi celui du Sahara,  terre fameuse pour ses
épopées héroïques et ses récits d’amour déchirants.
Les chansons de ce disque ne sont pas toutes des tubes, mais constituent
toutes un bel aperçu, une promenade rêveuse qui, dès le premier morceau,
file des bouffées de nostalgie, une plongée émouvante dans une culture
riche, diversifiée, et toujours d’actualité.

Bouziane DAOUDI

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