Larbi Dida : un esprit dancefloor dans un corps raï

Un rien provocateur, le mythique groupe Raïna Raï, fondé en 1980, avait glissé dans  Zina, la perle de son premier album, figurant sur la B.O. du film Tchao Pantin de Claude Berri et dont le refrain original avait été chanté par Boutaïba S’ghir (le fameux Ya Z’ghaïda), une petite phrase qui se voulait sentence : « Le raï est né à Bel-Abbès ». Le propos n’est pas loin de la vérité car Sidi Bel-Abbès, grande ville des plaines de l’ouest algérien, naguère réputée pour ses maisons closes et ses légionnaires qui ne sentaient pas toujours le sable chaud, est considéré comme l’un des hauts lieux de convergence de tous les chioukhs-poètes et les musiciens ambulants de la région. Cheikha Remitti, la mamie du raï, avait vu le jour dans le coin et s’était souvent retrouvée au coeur de grandes soirées privées, charmant l’auditoire de ses piques égrillardes. Plus tard, les Frères Zargui mettront au goût du jour des refrains accompagnés à la guitare électrique (équipée de pédale wah wah) et des groupes au nom américanisé comme les Youngers sèmeront le feu blues ou rock sur les pistes de danse des boîtes locales.

Un jeune homme, Larbi Dida, au look de chanteur latino avec sa fine moustache et son sourire enjôleur, a gardé bonne souvenance de ces mouvements musicaux tout en s’intéressant également aux tentatives de modernisation (entendez urbanisation) de ce qui est dénommé « folklore oranais » ou « gharbi » (littéralement : de l’ouest), celles de Blaoui Houari passant pour les plus abouties. En 1986, il intègre Raïna Raï où, très vite, il impose sa voix grisante et son accent traînant rural, enveloppé dans un habillage très pop. La formation soulèvera l’enthousiasme lors de diverses prestations, notamment au Printemps de Bourges et au Paléo Festival de Nyon. Cependant, Larbi se sent quelque peu à l’étroit dans le cadre d’un ensemble où il ne peut pas exprimer toute sa sensibilité et matérialiser ses rêveries rythmiques, car il a le groove en permanence dans sa tête, un esprit ambianceur et le geste vif même quand il parle. Sa culture club, à la manière des initiateurs de l’acid-jazz quand il investissait les dancefloors londoniens, a été forgée dans les cabarets les plus courus d’Oran, de Paris ou de Marseille. En même temps, il voue une passion dévorante à un tempo typiquement algérien qui est une invite constante à la transe : le alaoui ou regada chez le voisin marocain.

C’est sans doute la danse la plus fascinante d’Algérie, avec son rythme qui fait songer aux pas d’un chameau possédé par quelque démon intérieur. Les tenants du raï ne s’y sont pas trompés en l’utilisant souvent comme base de leurs chansons. Sous le titre alaoui, en référence à cette chorégraphie intemporelle d’essence bédouine, l’Orchestre National de Barbès, que Larbi, après une escapade en solo très expérimentale, a créé en 1996 (avec d’autres camarades consumés par la même brûlure) avait signé son morceau de gloire, allant jusqu’à sa reprise instrumentale par…Les Rolling Stones.

S’effectuant en groupe homogène, en ligne ou en cercle, avec des remuements frénétiques d’épaules et des coups répétés du pied, que rythment la voix du meneur, le alaoui traditionnel s’appuie sur un fond musical exécutée par un quatuor formé par deux flûtes de roseau et deux bendirs (tambourins), le port du bâton, lors du déroulement de la danse, demeurant essentiel car il symbolise l’âme guerrière des tribus de l’ouest algérien. A cette danse, virile et pleine de vivacité, qui fait la fierté des habitants de la région d’Oran, Dida a rajouté des sifflets, plus de pugnacité dans la rythmique et plus d’entrain dans la mélodie, la rendant plus performante dans les raïve-parties.

Cet album, s’ouvrant par l’euphorique Boug Boug, son deuxième en solo depuis son départ de l’ONB, en renferme toute la quintessence. Les souvenirs affluent à travers les reprises de Taila et Rani Mhayer, datant de l’épopée Raïna Raï. Le aloui énergétique est présent sur les morceaux Choully et Ghrib ou Barrani, tandis que la chanson moderne des pionniers oranais est évoquée par Salamane  et  Achak Mamhoun, et une reprise très personnelle du Bakhta du grand Cheikh El Khaldi. L’esprit festif qui caractérise les prestations scéniques de Larbi est confirmé par le caribéen Mamadou et les douleurs et déboires de l’exil, sans misérabilisme et avec beaucoup d’humour, sont le centre de préoccupation de la chanson Passeport Lakhdar, ce passeport vert algérien redouté par tant de douanes.

R.M.

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